1972 - septembre - Lycée Lakanal

En septembre 72 je rentre à Lakanal à Sceaux. Pour un an ? Pour trois mois mais je ne le sais pas encore. Interne. Relégué là dans l'attente d'une stabilisation parentale. Cela put être au Lycée Michelet à Vanves (complet), ce fut Lakanal. Là, ailleurs ....
Quelques jours, quelques semaines, quatre mois à peine.

Pas facile d’être d’emblée amène quand on ressort d’une année scolaire isolée à quelques milliers de km de là. Je traine alors mon mal-être. Je muris aussi. C'est l'âge idoine.

Moins de quatre mois, c'est un temps très court pour se rencontrer, se reconnaitre, s'apprécier.
C'est ensuite un temps très long, trop, pour maintenir l'ébauche des amitiés tentées l'espace de ces quelques instants. Dans ces croissements d'existences d'adolescents, ce ne sont pas les griefs ou l'indifférence qui séparent, c'est simplement la contrainte de l'éloignement physique. Son impossible maitrise. Il ne me reste de cela qu'une ou deux photos, des adresses recueillies dans l'espoir de ne pas perdre le fil, quelques courriers pour tenter de le préserver. Et puis le silence assourdissant de la vie.

Patrick Carlier, une bouffée d'amitié. Vitale. Une complicité fragile. Une forte attraction. Des gestes provocants. Pour se rebeller contre la bien pensance ? L'année d'après il ira à Chartres.

Georges Canavaggio dit "Raton", tout aussi présent. Déraciné lui aussi. Une mère généreuse, Lulu, Lucienne Pons, qui m'offrit l'accueil de son appartement mes week-ends de sortie, puis plus tard, mon point de chute d'escapades parisiennes. Et sa sœur Anne Marie Canavaggio. Séduisante.

Nicole Blanchard que la peur de la solitude me porta sans doute dans ses bras. Pas assez courageux pour renoncer à une tendresse passagère. Pas assez cynique pour bien vivre cette rencontre juvénile.

Dominique Delbecque, son amie.

Armelle Vidaillac était belle et me faisait rêver. C'est alors que j'étais terriblement platonique.

Chantal Perez, Inès Marti, Eric Monrouzeau dit "Gaspard", Philippe Chappe, Emmanuel Corret étaient suffissamment proches pour recevoir de leur nouvelle, dirctement ou par l'un d'entre eux. Avant de nous oublier à nos destinées distinctes.
Robert Fontaine semble être parti dès le début du trimestre pour un autre lycée, à Epinay.

J'ai bien noté vos adresses dans mon répertoire, nous avons échangé un courrier ou deux, et pourtant je peine à me souvenir de vous. Donc à me souvenir de moi.

Je me souviens de bribes d'une grève à l'internat. C'était le soir, à la cantine. Encore isolé, je fus surpris par l'injonction de cesser in petto de manger. Je n'avais rien vu venir. Je continuais à manger ma soupe. Seul assis parmi tous mes compagnons de table maintenant debout. Anti suiveur de foule, je suggérais à l'un des acteurs du mouvement qui m'apostrophait de s'asseoir en face de moi et de m'expliquer. Il du me convaincre.

Car si de la suite de cette grève je n'ai plus guère de mémoire. Je me souviens que je pris en main la communication. J'ignorais alors tout de la géographie politique des journaux. Je venais d'arriver en France. J'achetais tous les quotidiens d'actualité au marchand de presse d'à coté. Ce devait représenter un budget lourd pour mon argent de poche perso. Je téléphonais à chaque rédaction en les informant d'une grève de la faim de l'internat de Lakanal. Le lendemain, je ne retins que les deux quotidiens qui avaient relaté l'événement, et maintint leur informations à jour jusqu'au terme de notre action.

Comment en suis-je arrivé là je ne sais, mais c'est bel et bien moi qui me trouvait dans le bureau du proviseur pour négocier la fin de la grève. Outre les engagements de circonstance sur la qualité de la prestation servie (horaire, quantité, diversité, chaleur des plats) je me souviens surtout que nous avons obtenu d'ouvrir une buvette-croissanterie à l'intérieur du lycée. En effet, les internes ne pouvaient sortir de la journée et l'absence d'encas était déploré. J'en assumais aussitôt avec mes amis l'organisation, fastidieuse mais valorisante. Une petite salle nous fut allouée. Nous barrions la porte avec une table et nous vendions à prix quasi coutant, soda et croissanteries. Lesquels nous étaient apportés chaque matin par le boulanger du coin, ravi.

Je suis parti de Lakanal pour les vacances de Noël, sans même alors savoir avec certitude que je n'y reviendrais plus.

J'ai gardé quelques adresses, noté quelques anniversaires : Patrick (19 janvier 55), Eric (22 mai), Lulu (1 juin), Anne Marie (4 janvier).

1 commentaire:

Lucienne Magalie Pons a dit…

laurent,
Tout à fait par hasard je viens de trouver ton message sur Lakanal "1972 - Septembre - SOUVENANCITUDE -
et j'ai parcouru quelques pages de ta vie - j'y reviendrai -
Je suis très touchée par ta citation me concernant "mère généreuse" oui c'est à travers ses enfants que l'on voit une "mère" J'avais 38 ans à l'époque , toi, Georges, Patrick, Eric vous en aviez 16 : j'étais l'adulte certainement mais je dois avouer qu'en raison des circonstances de l'époque je me sentais parfois un peu dépassée et bien plus fragile que vous.Mais ce n'était qu'une impression. En lisant tes pages, je t'imagines comme Arlequin rassemblant tous les petits morceaux de tissus de différentes couleurs et textures pour les coudre patiemment et en faire son costume de scène qui d'après ce que j'en sais a été apprécié comme le plus beau de la comédie italienne. j'admire ton travail, une force et un courage de vie à toute épreuve y sont inscrit - je te voies aussi un peu médium - et d'une sensibilité humaine qui est bien rare de nos jours où tout passe sans laisser de trace affective - par mail je vais t'envoyer une poésie et tu me diras ce que tu en penses - A bientôt Laurent -