1970 - septembre - Lycée Jean Prévost

En septembre 70, je rentre en 3ème au Lycée Jean Prévost.

Interne. Avec mon frère, mais je ne le verrais pas beaucoup. Il n'y fait qu'un trimestre. Convoqué au conseil de discipline de janvier, il quitte l'établissement pour éviter une exclusion aussi probable qu'arbitraire de l'internat. Et non des cours. Ce qui est pervers car pour nous, l'une induisit de facto l'autre.

Refusant l'artifice des escapades interdites mais tolérées en ville, il sort et rentre quand bon lui semble, par le grand portail, négligeant les trouées pratiquées dans le grillage qui cerne notre espace. Provocation insupportée.

Je suivrais son chemin peu après. Le dernier jour avant les vacances de février, j'ai "renoncé" à mon seul cours de l'après midi pour ne pas manquer le bus qui devait m'emmener à Grenoble. Celui la seul permettant ensuite la succession bien coordonnée des multiples correspondances de trains pour rejoindre ma mère. J'ai reçu pendant mon séjour, mon avis d'expulsion. Je ne suis revenu que pour prendre mes affaires sans même pouvoir saluer tous mes camarades. Juste le temps de mesure le total arbotraire de la sanction : l'interne qui m'avait accompagner dans cet évitement d'une malheureuse heure de cours n'avait été sanctionné, lui, que d'un avertissement !

Ce temps fut trop court et ce départ trop brutal pour maintenir le contact avec les quelques personnes dont les photos conservées me rappellent qu'ils furent, à défaut, les compagnons de ces moments mal vécus. Je n'ai de fait aucune nom, aucune adresse, aucune correspondance de ces moments là.

Je n'ai rien aimé de cette période.

Mais je garde tout de même le souvenir,

...agréable, des noix dont j'emplissais mes poches quand je passais à coté des immenses paniers de stockages près de la chambre en soupente qu'Olivier avait loué pour ses week end.

...fier, d'avoir réussi à surmonter mon indolence d'ailleurs en remontant seul et vaillamment au Cornafion, après l'avoir fait avec tant de peine et de honte de cette peine une première fois avec Olivier.

...pénible, d'avoir assisté à tant de "chandelles" brutales à l'internat, que l'une d'entre elle fit une victime qui dut longtemps porter une minerve pour s'en remettre. J'avais peur pour moi.

...mélancolique, du juke-box du village où j'écoutais en boucle le tube "Sympathy" (Rare Bird), dont je ne me lassais pas et qui m'enfonçait jouissivement dans la mélancolie la plus noire.
(And sympathy is what we need my friend / 'cos there's not enough love to go round / No, there's not enough love to go round.)

...fasciné, des expériences d'hypnoses réussies dont je fus, à ma propre surprise, l'artisan.

...proustien, de la barre de chocolat que l'on nous distribuait avec un grand morceau de pain frais et mou pour le gouter des seuls internes.

...valorisant, d'avoir "hérité" de la mobylette Peugeot 102 de mon frère après son départ. Deux mois d'usage, modérés mais libérateur. Pas dupe néanmoins de l'intérêt soudain plus amical de certain à mon égard. Une mobylette, c'était pas rien.

...désolé, d'avoir tenté en vain de faire de l'humour pour être un bout en train comme les autres et d'avoir pris une veste. En l'occurrence celle d'un copain que j'attachais subrepticement à sa mobylette dont il nous montrait crânement les atours. Lorsqu'il en est descendu, sa veste s'est déchiré dans le dos de haut en bas, la mobylette et lui sont tombés. J'ai trouvé cela très drôle. Mais il n'y a que moi qui ais ris. Pas longtemps.

Maurice Bosle était photographe. Était. Il est décédé à Villard de Lans le 22 septembre 2003 à 68 ans. De jeune et timide client, je devins son mannequin le temps d'une série de portraits d'une grande qualité. Il fut pour moi un ami précieux. Il m'offrit plus tard un assignat de 25 sols datant de 1792. Il devint la première pièce d'une collection de monnaie que j'ai toujours. Il me prêta un antique et volumineux projecteur "16mm". Je montai un club cinéma au foyer du lycée et projetais de temps en temps des films de sa collection, notamment tous les plus grand comique du noir et blanc muet : Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyds, Laurel & Hardy.

Dans une lettre il me confirme que Pascal Etienne est toujours au Lycée en 72 en seconde C. C'est le seul nom de camarade qu'il me reste aujourd'hui de cette époque.

Et puis aussi Patrick Raby dit Charlie. Copain de mon frère. Fascinant. Je l'ai revu plus tard à Aix.

Enfin ce fut aussi au premier trimestre de cette année là que survint la terrible tragédie de Saint Laurent du Pont. L'incendie, le 1er novembre 70, du "5-7", une discothèque toute proche où périrent 146 personnes. Dont quelques élèves et beaucoup de proches des externes du lycée. De Gaulle mourut dans la foulée. Et Hara-Kiri édita sa célèbre "une" : "Bal tragique à Colombey : 1 mort" qui lui valut une censure immédiate et l'obligeât à reparaitre sous le nouveau nom de Charlie Hebdo.

Il y avait dans ma classe un grand échalas qui fit un jour une crise d'épilepsie en plein cours ! Très impressionnant. Tétanie, mouvements violents et désordonnés, rictus et salivation. Râles. Inconscience. Accalmie semblable à une agonie. J'étais son voisin. Plus impressionnant que grave m'a t-on dit pour me rassurer comme on l'emmenait. De fait quelques heures après il était parmi nous et ne se souvenait plus de rien !

Il y avait aussi un élève qui pratiquait l'hypnose. Dingue. Je fus aussitôt son élève (et non son cobaye) et l'élève dépassa bientôt le maitre. Nous utilisions comme "patients" quelques élèves plus jeunes parmi les asthmatiques (c'était un lycée climatique !). Il se trouvent que ce sont des sujets particulièrement réceptifs. Nous réussissions à les placer en hypnose par la suggestion de notre voix et la fixation de leur regard sur un point fixe. Nos yeux ou une alternative. Puis nous pratiquions des expériences d'insensibilisation à la douleur (chaleur, piqure) ou à la peur (chute) devant un public trié sur le volet. Nous réalisions également des expériences de télépathie et de transportation visuelle. Par exemple nous demandions au patient de nous indiquer où se trouvait "untel". Par exemple le censeur, ce qui rendait impossible toute complicité ! Sur ces indications deux volontaires partaient à sa rencontre avec pour mission d'observer tous ses faits et gestes pendant 5 minutes. pendant ce temps, notre "voyant" nous racontait de même. Au retour des observateurs ceux-ci, qui n'avaient donc pas assisté à la séance, nous racontaient ce qu'ils avaient vu. Du style : "untel" est allé dans le couloir central, il est descendu par l'escalier B, il s'est rendu dans la cour, a croisé "tel élève", lui a demandé "telle chose" etc...
Et l'assistance médusée, entendait cette "histoire" comme parfaitement identique à celle que notre "patient" avait décrite en "temps réel". J'étais tout autant "médusé" que l'assistance, voire plus ! Sensé être l'ordonnateur de tout ceci, je n'en laissai rien paraitre.
J'ai toujours le livre de poche "L'hypnose" qui me servit de guide pour cet apprentissage. Mais plus incrédule encore que mes pairs, je n'ai jamais tenté de réitéré cette expérience que je trouvais moi-même sulfureuse.

C'est aussi à cette époque que me vint l'absurde idée de défier le soleil. Je fixais celui-ci de mes deux yeux grands ouverts, m'interdisant tout cillement. En montagne le soleil est puissant. Mes larmes coulaient abondamment. Et c'est toujours le soleil qui gagnait ! Quand je cessais la lutte, la rétine brulée, je demeurais complètement aveugle pendant plusieurs minutes, voire quelques dizaines. Comment peut-on faire de telles conneries ?





En marge de ce blog et au cœur de votre vie

A noter qu'une initiative bienvenue a vu le jour en cette nouvelle année 2011 : un site tout entier dédié aux souvenirs des anciens du Lycée Jean Prévost.
Ambitieux (de 1964 à 2011) et (im)pertinent (un fantôme a pris en charge son animation), nul doute que celui-ci va rapidement devenir une référence incontournable. Mon modeste témoignage d'une demi-année scolaire à LJP rejoindra ainsi la cohorte des décennies de souvenirs contributifs à l'histoire de nos adolescences, pour beaucoup, et de celles de quelques adultes, pour certains. Et c'est très bien comme ça.

BLOG FORUM DES ANCIENS DU LYCÉE JEAN PREVOST
cliquez sur cette bobinette et la chevillette cherra


11 commentaires:

Anonyme a dit…

vous avez une plume incroyable...Je recherchais des infos sur le 5-7 et suis tombée sur votre blog.
Etrange sensation que le sentiment de vivre vos souvenirs..
Blandine

Laurent a dit…

Vous étiez présentes à Villard à cette époque ?

Anonyme a dit…

Je dévore vos souvenirs depuis tout à l'heure - j'espère n'être pas trop gourmande.
Je suis ravie du hasard des blogs qui me permet de les savourer ! C'est en traînant mes guêtres sur le blog de soutien à Siné que j'ai lu votre commentaire (je venais déposer le mien) et j'ai cliqué par curiosité.
Je prends un ticket pour de prochaines visites... Virginie (Sinpararse)

Laurent a dit…

Doublement surpris.
Par le fil qui conduit de Siné à ce blog (je croyais mes compartiments plus étanches ;-)
Par votre plaisir de lecture.

Doublement embarrassé
Par l'absence de vos coordonnées.
Par ce site encore un peu en jachère. J'ai "zoomé" momentanément sur la période 67/68 au Collège Cevenol

Laurent a dit…

Sinpararse ?=? Sinpararme ?=? Sinequanon ?

Sinpararse a dit…

Je suis impressionnée ! En effet, Sinpararse = Sinpararme = Sin-equanon...!
Je viens seulement de lire votre commentaire, ayant déserté la sphère Net depuis (bonne nouvelle) mon embauche dans un nouveau boulot très prenant... C'est la première fois que je me reconnecte et cela me fait un drôle d'effet de me voir si aisément pistée ! J'espère vous recroiser bientôt, au plaisir !

Winkle a dit…

Bonjour,

Je suis entrain de faire des recherches sur le Lycée de Villard et je tombe sur votre blog !!!!
J’y ai fait une partie de ma scolarité de 1965 à 1974 et votre qualité narrative m’a replongée dans cette époque avec beaucoup de force ! Je me souviens très bien de l’ »hypnotiseur » il portait des lunettes fortement correctives et pratiquait également les arts martiaux, le kendo je crois. Je m’en souviens car j’ai aussi été un des ses « patients » !
L’incident du 5-7 fut dramatique car des jeunes gens de notre génération ont disparu mais je me souviens surtout d’un surveillant du Lycée est décédé dans ce drame il s’appelait Benoit ….
Et à l’époque la presse (déjà !) avait écrit des inepties sur lui dans le style il menait des études de droit et avec une carrière prometteuse dans le rock devant lui ou quelque chose d’approchant !!

Le juke box du village est sans doute celui du Café des Sports…il est toujours là !!!

Je m’appelle Gilles Wandewinckelle mais à cette époque on m’appelait Winkle, les pions comme les copains, seuls les profs essayaient la version complète !!
Si ce message n’arrive pas trop tard je pourrais peut être vous aider à trouver d’autres noms et peut être d’autres visages.
Amicalement
Gilles Wandewinckelle

Laurent a dit…

Winkle !
J'ai une de photo de toi et moi devant le café des sports ! J'ai l'écharpe multicolore qui ne me quittais alors jamais et tu portes ma(?) veste en mouton...

Winkle a dit…

Bonjour

Une photo de nous deux devant le Café des Sports ???? les photos sont de cette époque sont tellement rares !! Contactes moi par le site des Copainsdavant http://copainsdavant.linternaute.com sur le Lycée Jean Prévost
A bientôt
Gilles

guenièvre a dit…

Je ne suis guère nostalgique de cette époque mais Wingle est venu ouvrir la boîte de Pandore.
Je suis native de Villard, j'étais en 3ème au collège en 1970 et j'assistais au cours de dessin au lycée Jean Prévost par la suite j'ai eu l'occasion de connaitre certains internes dont ton frère. Il avait une moto 125 rouge.
Vous veniez des 4 côtés de France et parfois de plus loin encore. Il y avait donc un ailleurs possible loin de ce petit village qui ne vivait qu'au rythme des saisons touristiques. Même le cinéma restait fermé en inter saison.
Plus tard, j'ai été moi aussi interne à Chambéry et j'ai très bien vécu cette période loin du cocon familial et d'une vie trop monotone à Villard.

Laurent a dit…

Le 20 janvier 2011, un dialogue soudain c’est installé en marge du billet précédent. Une riche évocation de ces années au Lycée Jean Prevost. Consistante, abondante, exubérant même, un peu au point de « s’oublier ». Un site sur internet est public ! Un trait d’humour sur un tiers, sans conséquence au Café du commerce, devient indélicat quand il se grave dans le marbre numérique. Et que dire d’une vacherie, parfois drôle dans son contexte, irrecevable au-delà ?

En marge de ce passionnant échange, survint bien vite un nouveau quidam. Celui-là même qui œuvrait, anonymement encore, au probable excellent site consacré à l’histoire du Lycée Jean Prévost et de ses anciens. Alias « le fantôme ». Entre anonymes ils convinrent bien vite que cette liberté de ton et de propos était excessive. Et me demandèrent de bien vouloir effacer ou modifier les commentaires indélicats.

Effacer ? Supprimer l’histoire en marche ? Prétendre soudain que ce qui fut n’existât jamais ? Pas vraiment ma tasse de thé !

Modifier ? Amodier ? Pourquoi pas ? Sauf que le système de ce blog « Blogger » ne le permet pas ! On supprime tout, ou rien !

Le 30 janvier, j’ai donc pris le parti d’inventer une solution intermédiaire, rassembler tous ce dialogue, expurger de ces écarts (à la demande expresse de leurs auteurs), en un seul texte. Et supprimer la série des commentaires qui en furent la source sur le billet précédent. Puisse cette solution satisfaire et les auteurs et les lecteurs !

Ce dialogue du 21 au 31 janvier 2011 est reproduit dans le billet suivant l'essentiel est sauf, la vie continue. Que ce soit en commentaires sur ce blog ou sur un site plus approprié comme le
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