1973 - septembre - Jean Giraudoux

Je redouble ma première D à Jean Giraudoux de septembre 73 à mars 74.

Mon frère et nos amis communs de Terminale sont partis. Mes anciens compagnons sont en terminale. Je suis ancien dans mon bahut mais nouveau dans ma classe

Opportunément, j'ai retrouvé la liste de cette nouvelle première D :
Jean Michel Ardellier (8 juillet 55) ou Ardillier, fils du pharmacien de Chateau.
Françoise Ardillier, soeur du précédent
Francis Augris (2 mars 56), interne ?
Frédérique Barre
Alain Bachelerie (16 juin 55)
Marie France Benoiton
Danielle Bernard
Sylviane Boyer
Vincent Courtin
Daniel Cugy (12 juillet 56) de Bessines ?
Philippe Hilaire (14 août 57)
Jean Lavalade
Agnès Lavalette (24 février 56), fille du pharmacien de Bellac ?
Eliane Mourgaud (6 novembre 56)
Didier Ouvrard (28 avril 55) de Bessines aussi ,
Laurent Pasteur (19 septembre 56)
Gérard Peyrat, grand bolnd
Joëlle Pingaud (14 décembre 56), aujourd'hui à l'Hopital de Limoges (2005) ?
Catherine Pons
Patrice Puissesseau (25 septembre 57)
Joëlle Risffaud
Marcel Ustaze (27 août 57)
Emmanuel Veyriras (24 mai 56) fils du Médecin de Rancon ou Chateauponsac ,
Martine Verinaud

Francis, Frédérique, Alain, Philippe, Eliane, Didier, Gérard, Joëlle (R) étaient parmi ceux que j'appréciais le plus. C'est du moins ainsi qu'ils furent alors soulignés. Heureuse précision qui pallie à ma mémoire. Sans doute aussi suis-je passé à coté d'autres êtres remarquables sans le savoir, sans le comprendre.

Mais j'ai retrouvé dans cet agenda 74 bien d'autres choses encore...

Pour regagner mon village le week-end, j'avais eu droit à une magnifique "Motobecane". Je me souviens de ces matins d'hiver où j'arrivais au premier cours du lundi, celui des maths, et où je m'installais tel une image éternelle du cancre, au fond prés du radiateur. Près ? Collé au radiateur. Arrivant au dernier moment, voire souvent en retard, j'étais dans l'impossibilité de parler ou d'écrire, visage et mains paralysées par le froid. Notre professeur avait du céder à cette manifestation d'impuissance, et ce premier cours de la semaine se déroulait doucement comme un chat qui s'étire lentement quand revient le soleil.

Montage poétique... Je participais bien sur à l'élaboration de ce nouveau montage poétique. Je ne suis plus certain qu'il était directement animé par notre prof de français ou par un quelconque prof. Je crois que nous l'avions pris en main de façon plus autonome, lui donnant alors une orientation plus radicale. Je suivais les répétitions du mardi et du jeudi soir avec assiduité. J'en interprétais un morceau essentiel. Un poème de Gueo Milev : "Septembre". 648 vers que je déclamais de mémoire. J'exprimais sans réserve la rage de l'auteur, le désespoir des martyrs, la souffrance du peuple.

Les trois premiers vers démarrais dans les ténébres
"Dans ses sombres entrailles, la nuit enfante / la haine du serf, séculaire, effrayante, / une colère empourprée"
Les trois derniers s'envolaient vers la lumière :
"La vie de l'homme prendra un essor infini / - ascension, ascension ! / La terre sera un paradis - / oui, elle le sera !"
C'était épique.

En occupant un tel espace, j’avais contraint les autres à adapter leur choix à cette œuvre inclassable. Pas facile. D'autant que l'aisance apparente de mon expression tétanisait les autres interprètes. Je proposais Vian (Le déserteur), Eugène Potiers (L'internationale), Dominique Grange, ... Catherine Bodilis ne participait mais venait m'encourager. J'appréciais ce soutien. Mireille fini par nous quitter, trop malmené sans doute par mon exigence égoïste.Je parti du lycée fin mars. Arriver après le début, partir avant la fin, voilà bien ce qui a caractérisé, par contrainte devenue nature, tant d'actions de mon existence.

Gueo Milev... Ce livre m'accompagnait depuis deux ans. Il m'avait été offert en 71, à Butaré, par une professeur bulgare. Il m'avait ouvert à la poésie des révoltés. A Maïakovski, à Charles Nokan et à tant d'autres. Mais je lisais avec autant de passion "Je voudrais pas crever" de Boris Vian. (Je voudrais pas crever / Non monsieur non madame /Avant d'avoir tâté / Le goût qui me tourmente / Le goût qu'est le plus fort / Je voudrais pas crever / Avant d'avoir goûté / La saveur de la mort...) Ou "La voix sans nom" de Marcel Béalu. Ce dernier m'avait dédicacé cet ouvrage lors d'un passage à Paris, avec Gil, dans sa librairie de la rue Saint Severin. Et c'était là, juste pour moi, une invite à écrire de même. ( Je suis une voix sans nom / Qui a faim peur et froid et se met à crier / Je suis la voix qui est au fond de tous les hommes / Qui veut crier et qui ne sait pas même crier ).

Club Nature Jeunesse... Avec le soutien du professeur Videaux, je tentais de remettre sur pied cette association en sommeil. J'adorais ce prof. J'adorais sa matière, les sciences naturelles, la biologie. Je voulais toujours être médecin.

Je lisais la "Guérilla du Che" de Régis Debré.

Jeu de Go... Fin janvier je suis allé voir Gil et Henry à Paris. Ils m’ont offert mon jeu de GO. Je l'ai toujours. Je me suis toujours senti tripalement en symbiose avec ce jeu. Je l'ai toujours. Et si j'y joue très rarement (ne jamais rien faire régulièrement, ne jamais approfondir une connaissance jusqu'a sa maitrise, me caractérisent), j'ai toujours autant de plaisir à poser mes pions au faux hasard du goban comme j'ai toujours posé les miens sur l'échiquier de ma vie. Un peu partout, aux quatre coins, sans en définir l'utilité future. Puis constater la richesse des connexions induites. Ou la fragilité mortelle d'options mal suivies.

En février, nous avons trouvé une chambre en ville, Gérard et moi, 23 rue Vergnaud. Cinquante francs par moi, non chauffée, un robinet d'eau froide et les toilettes au rez-de-jardin, au fond. La liberté. J'ai pu quitter l'internat. Cette chambre est vite devenue le lieu de rencontres privilégié du groupe d'amis que nous étions. Catherine et Martine étaient là souvent, Gérard (P), "le gros", Eliane. Dominique est venue une fois, désespoir ou délivrance, c'était enfin la fin... Josiane, Mireille, Véronique, Nicole, Françoise, Christian aussi.

Avec Patrick, Catherine, Martine et Eliane, puis Gérard et Maurice, nous sommes allés au concert des Who à Poitiers. Ce doit être un des rares concerts de pop auquel j'ai assisté à cette époque. Je n'accrochais guère à cette musique et j'ai trouvé le concert très "commercial". J'aimais les mélodies du jazz, les chansons à thèmes et je ne comprenais rien à l'anglais.
Comme le tout jeune Maxime Le Forestier, vu alors en spectacle à Limoges...

Dans les rues de Bellac, nous cherchions un soir désespérément Catherine. J'avais passé la journée avec elle. Elle m'avait quitté voulant mourir. Nous l'avons retrouvé les poignets en sang dans le petit parc au dessus du lycée. Avertir ses parents, subir leur vindicte d'adultes fut une épreuve. Voir Catherine éloignée à Paris avec l'interdiction de me voir, une condamnation sans appel ni jugement.Surjouant mon cynisme, j'évoquais lors de notre soirée quasi mortuaire après le départ de Catherine, l'absence de risque létal d'une coupure de rasoir au poignet. "Les tendons gênent l'entaille, le sang coagule tout de suite. L'acte est vain si c'est vraiment la mort que l'on recherche. A tout prendre il est plus efficace d'entamer le bras plus haut, voir dans le pli du coude. La chair y est tendre, l'entaille plus profonde. Et le faire dans sa baignoire pour que le sang s'écoule continument. "Josiane écoutait. Quatre semaines plus tard, elle mettait ce "conseil" en pratique. Fort heureusement son cri de panique devant le jaillissement du sang alerta ses parents....

Tut's. C'était le signal de l'arrivée du surveillant général. Le clapet de la langue sur le palais pour prévenir de sa présence. Il effrayait (presque) tout le monde. Il sanctionnait sans ménagement et j'ai passé plus de mercredi et samedi en colle cette année que tout autre activité."Vous n'êtes qu'un petit con et vous le resterez toute votre vie", me dit-il un jour. Il perdait vite son sang froid et je gardais le mien. L'œil crane comme "Dany" en 68 devant les CRS. Son bureau, c'était mon Gay Lussac à moi. Il s'appelait Lavigne, nous le nommions Toto.

C'était encore une époque où ce type d'homme pouvait gifler un élève. Je tentais de provoquer une insurection à la suite d'un tel incident. Les professeurs soutinrent ma demarche. Las, la victime préferait une bonne baffe à quatre heures de colle. On me pria de m'occuper de mes seules affaires. D'autant que le Toto su très bien m'isoler à son sujet. Un jour de colère entre nous, il distribua au moindre sourire inaproprié des heures de colle. Vingt élèves furent atteints. en vingt minutes. Sauf moi. Et tout le monde su que j'étais la première cause de sa rage. Vingt personnes qui m'en voulurent à moi plus qu'à lui d'avoir réveillé le chat qui dort. Et l'ensemble du lyéce habilement retourné contre moi !

Début mars, les manifestations étudiantes et lycéennes annuelles reprennent. Cette année contre la loi Fontanet. Je fus contacté très secrétement par un militant de l'OCR, ancien du lycée où il connu des déboires en 68/69 : Angel Pedro Ranz. Ce ne fut guère probant sans doute. On organisa notre petite action en autonome. Grève. Affiches.

Ce 2 avril, nous regardions la télé avec Gil. Un film. Je ne sais plus lequel. Soudainement interrompu par un flash d'information exceptionnel. "Pompidou est mort !" nous sommes-nous écriés simultanément. Et nous avons éclaté de rire. La politique est terrible et ne rend guère charitable. Et Josiane vient de manquer son suicide. Henry, nommé en Uruguay vient de partir.
Et je quitte soudainement le lycée de Bellac pour rejoindre Paris.

Gérard m'écrit. Il me donne des nouvelles de Catherine, de Vero, de Mireille qui m'écriveant aussi par ailleurs. Et de Josiane. Ils tombent amoureux l'un de l'autre. Et ce changement compromet le voyage que nous comptions faire en Angleterre au mois d'Août.

2 commentaires:

angel.ranz a dit…

une telle mémoire me fascine... angel ranz

angel.ranz a dit…

j'ai lu ces quelques paragraphes avec tendresse et nostalgie repensant au pof de science nat M. Videau que j'avais tant apprécié et à Toto que j'avais quelques années auparavant combattu, ce qui me valu d'être embarqué par la gendarmerie et de ne plus pouvoir mettre les pieds dans le bahut. L'année suivante je dus partir à châteauroux , aucun établissement de l'academie de Limoges ne voulant m'accepter