1975 - juin - Baccalauréat

Il y avait trois élèves dans ma classe de Terminale D qui étaient joués perdant pour le bac. A cent contre un. Dont moi.

Le proviseur avait profité de ma présence au secrétariat pour me lancer quelques jours avant la fin des cours : "Ce n'est pas la peine de venir retirer un dossier pour votre prochaine terminale, je ne vous prendrais pas !"

Mon professeur principal (et d'histoire) m'avait, elle, gratifié d'une observation rare et assassine sur mon dossier : "Cet élève ne doit pas réussir son bac". Règlement de compte indigne de nos quelques altercations idéologiques en cours où je finis par être interdit de paroles puis de présence.

Je révisa faussement mon bac. On ne rattrape pas des années perdues en quelques semaines.
Je renonçais à me présenter à l'épreuve facultative de dessin le 21 mai. Négligence coupable.
Je commençais par l'athlétisme le 27 mai et la natation le 30. Cet effort me valu 12. C'était bien payé pour quelqu'un dont les professeurs de gym des années passées n'avait connu que le nom.

L'écrit qui suivit fut au mieux fastidueux au pire déséspérant.

La matinée du mardi 16 juin s'ouvrit par quatre heures de philo. Je réussis là à avoir 11 en ne citant aucun auteur et en traitant le dossier sous un angle plus scientifique que philosophique.

L'après midi, l'épreuve de physique-chimie fut plutôt une "bonne" surprise. J'eus finalement 8 points là où je craignais pire.

Le 17, l'épreuve de maths fut à la hauteur du désastre attendu. Le problème, irrésolvable. Les exercices, à l'encan. J'étais incapable d'aligner un quelconque début de résolution qui commençait, nécessairement, par un postulat, un théorème ou une équation remarquable dont je ne connaissais, de mémoire, aucun des secrets. Je ne dus mon salut, provisoire, c'est à dire l'absence d'un zéro éliminatoire, qu'à l'artifice d'une anti sèche. Celle-ci me permit de reproduire la formule nécessaire à la résolution du second exercice. Je ne fis pas la suite mais cela m'apporta deux points.

Je terminais l'après midi par les sciences naturelles. Elles me firent défaut. J'aimais et maitrisais cette matière. Mais je tombais en plein sur un sujet de début de programme jamais appris (je n'avais pas fait de premier trimestre) et que notre professeur avait négligé de nous faire réviser tant il lui semblait improbable. Je n'eus que 12 et c'était pour moi très décevant.

J'attendis les résultats avec la fatalité qui accompagne les condamnations annoncées sans recours de grâce possible. A ma seconde épreuve de français, l'an passé, j'avais eu 12 à l'écrit et 14 à l'oral. Mais c'était un bac D c'est à dire maths et sciences en coefficients majeurs. Pas suffissant pour compenser. Surpris, j'eus 8,01 ! C'est à dire assez pour aller me présenter à l'oral et, bien entendu, pas assez pour espérer le bac au final. Tant ces notes n'étaient pas en soit un accident mais bien le reflet de mon niveau scolaire.

...
Le week-end suivant, je pars à La Gayolle, rejoindre Marie. Et il est certain que j'avais d'autres attentions alors que de préparer mon oral à venir !
...

Le 2 juillet, je partis à l'oral avec la résignation de celui qui se doit, au moins, de boire son calice d'amertume jusqu'à la lie. L'ambiance était plus mouvementée que pour l'écrit. Nous attendions nos tours dans les couloirs, nous tous dont les destins n'étaient pas encore fixés et qui allaient dépendre, pour partie, de quelques fortunes incertaines.

Un attroupement se fit. Je compris qu'il s'agissait de la secrétaire du jury auprès de laquelle chacun s'inquiétait de son propre dossier. Je m’approchais. Je me trouvais juste dans son dos, quand elle s'exclama "Mais enfin vous pensez bien que je ne connais que les dossiers vraiment très particuliers". Goguenard, je lui mentionna mon nom à l'oreille, souhaitant qu'il ne lui dise rien. "C'est vous !" me dit-elle en se retournant. "Ben mon vieux, ils ne vous ont pas loupé. Allez, bon courage !".

J'attendais pour l'épreuve de maths. J'étais effondré. Pressé d'en finir. A 14h, je me présentais le premier à l'ouverture de la porte. Je piochais un sujet. Fit la moue. Déclina l'aimable proposition de retenter ma chance. M'installa à ma table. C'était une résolution de fonction. J'ignorais la formule nécessaire. Quelques minutes vides passèrent. Etant le premier de l'après midi, le professeur en attente vint s'enquérir de mon évident blocage. A défaut il me proposa de venir néanmoins tenter cette résolution au tableau. Et nous fîmes l'exercice ensemble. Feuilletant mon dossier scolaire il m'interrogea sur mon trimestre de l'an passé à Arago. Il me demanda le nom de mon professeur. Monsieur Gros. Il sourit. C'était un excellent ami.

Ainsi, le professeur de math qui m'interrogeait à Aix, avait pour meilleur ami le seul professeur qui m'avait mis, juste un an auparavant, à Paris, la meilleure moyenne de maths que je n'avais eu de toutes mes années lycées : 18. Il tenta de comprendre. Je ne me fis pas prier deux fois. J'évoquais ma scolarité hachée, l'absence total de premier trimestre de terminale, mes parents absents. Je m'appuyais en toute mauvaise fois sur la chronologie de mes notes de cette année 4, 6, 8 pour illustrer mes efforts pour remonter la pente. Ma mauvaise fortune d'être justement tombé à l'écrit sur ma partie de programme manquante... Sa perplexité était palpable.

Il tenta de me repêcher. Il me proposa de dessiner au tableau quelques fonctions usuelles.
-"1 sur x, s'il vous plait".
Je traçais avec une lente application abscisse et ordonnée. Et dessinais la courbe.
-"x au carré".
Je fis de même.
-"x au cube".
Je m'appliquais encore.

-"C'est parfait. ! Vous voyez que vous savez des choses !!" s'exclama t-il ravi.
-"Ben, non, je ne les connaissais pas plus que le reste".
-"Impossible, vous avez tout juste...."
-"Ben pendant que je traçais les axes, j'ai rapidement calculé quelques points remarquables et j'en ai déduit aussitôt la courbe" m'excusais-je.

Il resta coi. Sans doute était ce l'une des rares fois de sa vie d'enseignant où un élève venait de réfléchir à ce qu'il faisait plutôt que de restituer fidèlement, mais mécaniquement, son savoir.

Je n'avais aucun génie, juste pris l'habitude de recalculer vite par défaut de connaitre quoi que soit de mémoire, jusqu'à mes tables de multiplication.

Le temps était largement dépassé, l'élève suivant était ravi de bénéficier de plus d'un quart d'heure de réflexion. Il reprit mon dossier. Revit cette note de 2 à l'écrit, et me demanda :
-"Combien vous espériez avoir à l'oral"
-"Un peu plus" répondis-je modestement.
-"Hélas, cela ne vaut pas plus de deux" dit-il désolé.
-"Je comprends"

Aussitôt commencé mon oral, cette première épreuve en signait la fin. J'aurais pu partir. Mais je fais souvent le dos rond face aux difficultés. Je suis resté sur le bateau.

En anglais, j'avais, refusant de passer à coté d'une improbable chance, décidé deux jours avant d'apprendre au moins un texte. Allez, juste un texte quoi ! J'ai lu celui de Martin Luther King "I have a dream". Et sa traduction. En salle le professeur me dit "Vous avez un texte préféré?" Je crains le piège. Je joue le dubitatif. Je la voix prête à choisir pour moi. Je tente. "Peut-être : I have a dream". Mon ton est neutre, censé faire croire que ma maitrise des textes est uniforme. "Bien".

Pendant mon quart d'heure de préparation, je réussis à reconstituer une version qui a défaut d'être littérale en traduisit tout au moins le sens général ! Puis dans le jeu des questions-réponses, l'écart entre mon apparente compréhension à l'écrit et mon hésitation à l'oral passe pour de l'émotion. Je le sens, j'en joue la confirmation. Mon intérêt réel sur le fond du texte se perçoit. Peut-être passe-t-il pour de la bonne volonté. J'obtiens, mais ne le su que plus tard, 12. Inespéré !

En histoire, je piochais "Qu'est ce qui dans l'armistice de la guerre de 14-18 contient les germes de la seconde guerre mondiale ?". J'aimais bien le programme d'histoire. Puisqu'il s'agissait de celle de notre siècle. Mes engagements politiques m'avaient amenés à en approfondir les arcanes. Pour le plaisir. Mon aimable professeur me prévint d'emblée "Pas de date, pas de chiffres, mais des faits et du sens !". J'exultais de bonheur, je ne risquais pas de la décevoir sur ce point.

En géographie, je piochais "La plaine du Pô". A peine savais-je que c'était en Italie ! J'aperçus un bout de carte à moitié recouvert sur la table. D'un mouvement anodin je le déplaçais judicieusement à porté d'un regard en biais. Je n'étais pas encore myope. Pendant ce temps, j'inventais la plaine du "Pô". Elevages ? "Ovins, bovins". Que pouvait-il y avoir d'autres ? Agriculture ? Je me souviens encore de ma réponse. Elle est sortie toute seule, comme reviens le seul le seul vers entier d'un poème dont on a perdu la strophe : "Blé, mais, orge". Cela sonnait bien, comme une rime riche. Etait-ce approprié ? Cela avait l'air de passer. Energie ? Le pétrole et le charbon me semblait improbable et l'hydroélectrique plus appropriée à une plaine quelle qu'elle fut. Banco ! Capitale ? Je percevais sur le nord de la carte, une seule ville symbolisé par un gros carré noir. Je fins par réussir à lire, et donc à répondre, en toute méconnaissance de cause "Milan". Super banco ! Industrie ? Aie ! Ni l'imagination ni la topographie ne m'étaient plus d'aucun secours. Je balbutiais quelque ineptie. Fiat, Ferrari et les autres m'étaient inconnus.
"Mais enfin l'industrie automobile" me dit-elle. "Turin". J'en convins volontiers, comme d'une évidence qu'il n'était pas utile de rappeler. Avec une mauvaise foi terrible.

Enfin elle s'enquit elle aussi un peu plus précisément de mon dossier scolaire. Sa bonne impression était contredite par les notes et commentaires de sa collègue. Nous en discutâmes. Je découvris à quel point le monde enseignant était un petit monde où tous se connaissait, s'appréciait ou... se détestait. Elle détestait ma prof d'histoire. Situé à l'opposé de ses convictions idéologiques, de ses méthodes pédagogiques et sans doute de bien d’autres choses. Et quelqu'un qui avait eu tant maille à partir avec celle-ci ne pouvait être que quelqu'un de bien, doublé du statut d'une injuste victime. Je n'ai pas alors perçu dans cet échange de quelques mots toute la tournure qu'était en train de prendre mon avenir. J'eus 14 en histoire-géo. Là aussi je ne l'appris que plus tard.

Je terminais par la biologie. J'avais eu 12 à l'écrit et personne ne comprenait pourquoi je ne tentais pas de rattraper la physique chimie où je n'avais eu que 8. Or j'étais très content de ce 8 inespéré et déçu par contre de mon 12 accidentel. Ce choix, rare, surpris également le professeur qui m'en demanda la raison. "J'ai eu quinze de moyenne cette année, malgré des conditions difficiles. Je les vaux". Je lui expliquais les raisons de ma note écrite : un exercice intégralement blanc auquel il ne m'était pas possible de répondre. Il m'interrogeât sur la cellule, les mitochondries, l'appareil de Golgi. J'adorais ça ! J'ai bien eu mon finalement mon 15. Et tout ceux qui avait opté pour l'oral de Physique-Chimie ont été terriblement déçu de la sévérité du contrôle.

Je n'eu qu'un jour d'attente. Celui où l'on échafaude, obligé, deux avenirs possibles. Me projeter en fac était d'une présomption que je n'osais pas mettre en œuvre. M'imaginer redoubler ma terminale m'était insupportable. Je ne connaissais pas mes notes d'oral et ne pouvait que me perdre en conjectures. J'essayais de ne penser à rien.

...

Alors que mes pas me rapprochaient du mur sur lequel on était en train d'afficher les résultats, je croisais le professeur de sciences naturelles qui m'avait interrogé. Mon sourire aimable et poli de ma part n'attendait pas de réponse particulière.
-"Alors, vous l'avez eu votre bac, bravo !"
Etonnante familiarité de la part d'un professeur qui ne pouvait retenir l'élève qu'il rencontra, juste un quart d'heure parmi tant d'autres. Erreur sans doute. Mais je ne pus m'empêcher de croire soudain à l'impossible.
-"Et avec mention !".
Là je n'eu plus de doute. Il se trompait d'individu. Et je lui en voulais d'avoir fait battre ce fol espoir.

A l'approche de l'essaim d'abeilles butinant les listes affichées, je reconnu la secrétaire du jury qui s'extirpait de cette foule avide. Elle aussi me reconnu. J'étais incrédule de cette soudaine notoriété.
-"Alors vous l'avez eu votre bac"
- "...!? "
- "Et avec mention...."

J'avais l'impression d'être ailleurs, de me mouvoir dans un univers parallèle, forcement distinct de la réalité. La dure, celle qui fait toujours mal. Je bousculais la foule, vint à la recherche de mon nom, de ma ligne, et du verdict. "Bac, mention AB" ! Mention AB ? Mon cerveau n'arrivait pas à accepter ce que mes yeux lisaient et il lui fallu plusieurs confirmation de leur part pour l'en convaincre. Je rattrapais aussitôt l'aimable secrétaire. Qui d'ailleurs gentiment m'attendait, devinant mon incrédulité.

-"Votre dossier est passé devant le jury. Les professeurs ont unanimement considéré que vous aviez été injustement saqué durant votre terminale et vous ont accordé les quelques centièmes supplémentaires vous permettant d'avoir la mention !".

La mention soit, mais mes calculs ne me permettaient certainement pas d'atteindre 10. Alors presque 12 ... ? Elle se souvint de quelques notes, dont la plus stupéfiantes :
-"Vous avez 11 en maths !" me dit-elle en réponse à ma question.

Onze ! Il m'avait mis onze. Ce professeur que je ne connaissais pas avait fait le pari de me noter sur ce qu'il pensait que j'aurais du être et non sur ce que les circonstances avaient fait de moi. Je ne connais pas son nom, bien sur. Mais je sais que je lui mon bac.

Je ne connais pas non plus le nom de ces autres profs, d'histoire-géo, d'anglais, de sciences, qui tous les trois ont exprimés tant d'attention et d'empathie à mon égard. Mais je leur doit cette mention et une intense satisfaction de fin de scolarité.

Nous étions trois à ne pas devoir avoir le bac cette année là dans ma classe dont moi.
Et nous ne fûmes que trois à avoir une mention, dont moi.

Puérile mais bien agréable satisfaction de pied de nez à une classe dont je n'ai gardé, étonnament au regard de mes reflexes passés, aucun nom, aucune trace, aucune adresse. Cette année de terminale, je l'avais traversé sans la voir. Et presque sans l'avoir.

Avoir ce bac qui finalement ne me servit a rien. Ce n'est pas son obtention qui m'offrit la grâce. Au moins fit-il la satisfaction de mes parents. Et la mienne en conséquence. Heureux de les libérer tout autant que moi de cet incertitude.

Le lendemain 4 juillet, je partais à Paris. Je ne suis jamais revenu à Aix, et je n'ai jamais retiré mon beau diplome.

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