1967 - avril - Ecole de Rancon



En avril 67, je reviens dans cette petite école communale de Rancon, où j'avais commencé l'année, pour terminer mon CM2.

Deux classes contigües. L'une avec les CM1, CM2 et préparation au certificat d'étude. L'autre avec les CP, CE1 et CE2. L'une sous la houlette du maire, Monsieur Mondot, l'autre de sa femme. C'est encore l'époque des plumes sergent major, des encriers en porcelaine que l'on remplit, des buvards, des pupitres en bois que l'on ponce chaque fin de trimestre.

C'est encore l'époque des écoles de garçons sans filles. Elles, elles sont dans l'autre batiment, de l'autre coté de la rue. C'est là que nous allons déjeuner à la cantine. je m'y retrouve régulièrement assis devant une fille dont tous redoutent le regard. Elle louche. Pas d'une légère coqueterie non, totalement. au maximum. Il est impossible de se convaincre que c'est à vous qu'elle parle tant son regard se perd loin sur le coté.

C'est sous le préau qu'est stocké le bois de l'hiver pour les poëles des deux classes. Au fil de l'année, l'espace se libère pour nos parties de "balle au prisonnier".

C'est dans la cour qu'est garée la voiture de pompiers municipale. Chaque alerte est pour nous un joyeux evennement tant il nous distrait. Et c'est à ses cotés que nous jouons au "facteur", à la ronde du foulard. Et puis les billes. La férocité du terrain inégal, la supériorité du verre sur la terre cuite, l'immanente adresse de certains. Les calots reflétant nos yeux brillants de désir. Les poches qui se vident. Ou qui s'alourdissent à craquer.

Et puis le ramassage scolaire en petit bus, parcourant les routes de campagne, délicieusement annulé les jours de trop fortes neige. Le rassemblement à l'orée du village dans la nuit finissante. Le klaxon qui vrombit dans l'exaspération des retardataires. Les rigolades et les tristesses qui s'entrechoquent sans pudeur dans le virages.

Bénéficiant du bagage culturel et social de ma famille, je suis, sans grand effort, un bon élève. Je soigne mes dessins de leçons de choses, mes illustrations de poésie, mes cartes de géographie. Sous la surveillance maternelle encore étroite, j'apprends par cœur mes résumés d'Histoire et mes Fables de la Fontaine. Deux béances pourtant se confirment cruellement.

Je suis nul en orthographe. Gaucher contrarié pense-t-on. Soit. C'est encore une époque où l'on ne consulte pas un pédopsy pour si peu. On densifie les dictées. Je me souviens que j'y faisais largement plus de dix fautes majeures. Elles valaient un point chacune et j'avais toujours "0". J'en ai fait des dictées. A l'école,. A la maison. J'ai pourtant lu, j'ai beaucoup écrit. Et aujourd'hui encore il m'est impossible de produire un texte sans aucune erreur. Même après plusieurs lectures attentives, même quand l'enjeu est crucial pour moi et justifie la plus totale précaution. Toute ma vie, tous mes textes ont été truffées de fautes. Et il m'a fallu subir, toute ma vie, les observations amusées, aimables ou choquées, voire désobligeantes de tous mes lecteurs quels qu'ils soient. Je n'y ai jamais été indifférents mais je m'y suis habitué. Comme tout handicapé léger.

Et je n'ai pas de mémoire. Je suis incapable de retenir quoi que soit naturellement. Et l'attention, l'effort soutenu, ne m'aident guère plus. Apprendre par cœur consiste pour moi à retenir ma respiration et à me lancer en apnée. Cela ne marche qu'une fois. Je n'ai jamais retenu aucune leçon, aucun nom, aucun prénom, aucun numéro de téléphone sans un long, très long apprentissage. J'ai passé toutes mes récréations du premier trimestre de CM2 contraint d'apprendre par cœur mes tables de multiplications. En vain. Désespéré, mon instituteur a cessé cette inutile sanction, ne comprenant pas pourquoi ce petit garçon qui réussissait sans effort tous les problèmes de baignoires et de trains sur lesquels suaient les plus grands, n'arrivait pas à dire combien font 6x7. Et je ne le sais toujours pas ! Comme je ne sais pas combien font 8x9 et d'autres encore. J'y pallie aisément : je calcule. Systématiquement. Et du coup je n'utilise jamais de machine aujourd'hui pour les opérations courantes....

Ne pas savoir (pouvoir ?) apprendre m'a contraint à tenter de comprendre. Avec célérité. A défaut de retenir les solutions on peut, grâce à cela, reconstituer les processus résolvants. C'est beaucoup plus long. Cela marche bien en primaire, fonctionne encore un peu en 6ème, en 5éme, beaucoup moins en 4ème et 3éme. En seconde on n'a toujours pas compris que l'on a jamais apprit à apprendre, à suivre une leçon, à rentrer dans le sillon. Et la déscolarisation devient quasi irréversible.

J'ai longtemps écrit à "Monsieur Mondot". Je n'ai sans doute jamais connu son prénom. Il a quitté Rancon l'année suivante pour Couzeix où après quelques années ils ont pris leur retraite. Il est maintenat décédé. Mais il vit encore dans ma memoire comme tant d'instituteurs demeurent eternellement dans celle de leur élèves. Leurs fils s'appellait, je crois, Jean Pierre Mondot, je ne suis pas certain de l'avoir croisé. Quoique.

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