1971 - aout - Soins aux Lépreux

Cet été là, j'ai éprouvé l'intense satisfaction de me sentir utile. D'être ce que je devais être. Tourné vers les autres. Compassionnel et efficace.

J'ai rencontré à Giseni, chez nos amis Michel De Walque, un médecin (?), père mariste défroqué (?), les deux ? Qu'importe ! Blindé par des années de prison en Chine, il est venu poursuivre son apostolat au coeur des milles collines et s'emploit, comme tant d'autres, comme si peu d'autres, à faire reculer le mal qui ronge.

Je m'embarque aussitôt avec lui pour l'aider dans sa léproserie à Gitarama. De là, nous sommes partis sillonner tout le Rwanda pour soigner, village après village, la lépre qui y sévissait. Toutes les maladies de la peau en fait, car seul une approche "générique" permettait de faire venir chacun sans le stigmatiser d'emblée d'une maladie encore si tabou, si ostraciste.

A deux, dans notre combi WV. Aménagé en pharmacie. Nous faisons halte pour des rendez-vous de brousse. Connus de tous. Sommes-nous là à l'heure près, au jour près ? Ils sont là, eux. Ils sortent de leur campement provisoire. Ils alignent leur misère, leurs douleurs, voire leur agonie.
Les membres tordus par la dégénérescence des nerfs. Les pieds et jambes profondemment crevassés de brulures incicatrisables. Ils sont invités à rejoindre la léproserie, seul espace susceptible d'accueillir une utile convalescence. Partir ? Ah quoi bon quand il y a encore tant à faire ici ! Tous nous quittents avec trente cachets en main. Un pour chaque jour. Dosés à hauteur du mal. Et puis des paroles amicales, réconfortantes, respecteuses toujours. La charité chrétienne prend ici toute sa valeur. Mon humanisme laic s'y retrouve sans mal.

Ici là s'inscrit en dur ma vocation. Etre médecin.

Nous poursuivons nos routes aux confins du territoire. Franchissons les zones interdites à toute transhumances. Les secteurs frappés d'un mal plus terrible encore. La mouche Tsé-Tsé. Plus sournoise, celle-ci pond ses oeufs dans la moindre des tumefactions. Le mal gagne, mine, épuise, achéve. Et je vois autour de moi tous ses enfants léthargiques dans les bras de leurs mères épuisées, impuissantes. Et je vois ces mouches tranquilles, sereines, collés aux plis des paupières, aux commissures des lèvres, aux plaies ouvertes. Et j'en pleure. Et j'en pleure encore aujourd'hui en l'écrivant.

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